A l’occasion du premier anniversaire de son installation, l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a organisé un colloque pour y présenter son bilan et présenter les pratiques des autres autorités de la concurrence dans les territoires d’outremer.
Nous avons été invités à y participer.
Vous trouverez ci-dessous les éléments de la présentation effectuée par notre représentante. Bonne lecture,
Colloque du 1er mars 2019 – Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie
UFC Que Choisir de Nouvelle-Calédonie. Intervention de Françoise Kerjouan
Je vous remercie de nous donner la possibilité de nous exprimer lors de ce colloque. Je voudrais commencer par préciser que ma présentation a été préparée avec la présidente Mme Lorenzin et s’est appuyée sur une intervention du président de la Fédération UFC QC M. Alain Bazot, lors de son intervention dans le rapport du club des juristes de Janvier 2018 « Pour une réforme du droit de la concurrence », réalisé sous la présidence de Guy Canivet et Frédéric Jenny.
Notre association a toujours soutenu la mise en place d’une autorité indépendante pour garantir qu’une concurrence saine et loyale entre opérateurs économiques soit possible et existe. Si elle est faussée volontairement par les acteurs économiques (producteurs, importateurs, distributeurs) pour privilégier principalement leurs profits, elle n’apporte pas aux consommateurs ce que leur promet la théorie économique, à savoir choix, qualité et prix juste.
Pour autant, comprendre et manier les outils du droit de la concurrence n’est pas une chose facile pour une association de consommateurs.
D’une part à cause de la difficulté de comprendre ce droit. En termes de lisibilité, je rappelle que nous demandons des textes consolidés du droit applicable en NC. En termes de compréhension ensuite : quel est précisément le champ d’action de l’autorité ? par exemple les banques – lorsqu’il s’agit des frais et commissions – sont-elles dans son champ d’action ? quelles différences entre concurrence déloyale et pratiques anticoncurrentielles, sans parler des relations déséquilibrées entre fournisseur et distributeur ? quelles sont les dispositions du code de commerce « version métro » et particulièrement de l’action de groupe qui s’appliquent ? notre association est-elle habilitée à en engager une ? quel est le délai de prescription ? quelles sont les sanctions pénales qui peuvent être prises ? quel préjudice peut être réparé ?
D’autre part parce que, pour engager une action auprès de l’autorité, je fais référence aux pratiques anticoncurrentielles, il faut un minimum de preuves… Nous avons abordé avec l’autorité différents sujets : la grande distribution, la filière fruits et légumes, mais ces sujets faisant déjà l’objet d’une grande attention de sa part, nous l’avons saisie sur les services publics, et plus particulièrement l’eau et l’assainissement. En effet, dans ce cas précis, nous avions des éléments intéressants à lui soumettre, permettant une saisine. Les services publics sont, pour les ménages, des dépenses contraintes (eau, assainissement, électricité, ordures), pour lesquelles le choix est inexistant, qui sont des services dont on ne peut se passer, et qui représentent une part non négligeable et souvent difficilement compressibles de leurs dépenses.
D’autres problématiques, comme les pièces détachées automobiles, les médicaments, les frais et commissions bancaires, ou l’éventuelle atteinte à la concurrence posée par les accords interprofessionnels – qui sont prévus par les textes, pourraient être soulevées.
Je ne vais pas commenter les différents avis rendus par l’autorité, qui ont permis de voir écrit, noir sur blanc, ce que beaucoup supposaient ou soupçonnaient. Il est un peu tôt pour en apprécier les conséquences.
Je voudrais ici aborder la question de la réparation du préjudice subi par le consommateur, quand des pratiques anticoncurrentielles sont reconnues par l’autorité.
Une citation tout d’abord de d’Emmanuel Combe1 dans un article de 2008 intitulé à juste titre : « Consommateurs, les ententes vous spolient ». Il relevait que « ces pratiques sont injustifiables économiquement et elles sont contraires à l’esprit de l’économie de marché. Elles ne génèrent aucune contrepartie positive pour les consommateurs, mais conduisent à des augmentations de prix substantielles : de l’ordre de 20 % en moyenne, sur une durée de vie (du cartel) de l’ordre de 6 à 7 ans… pour celles qui se font prendre. Elles ne transfèrent pas seulement de la richesse des consommateurs aux entreprises mais, plus grave, elles conduisent certains consommateurs à renoncer de consommer ». Emmanuel Combe notait que la probabilité de 15 % de détection des cartels semblait l’approximation la plus couramment retenue par les chercheurs :
« Cela revient à dire que les sanctions, pour être vraiment dissuasives, devraient atteindre au moins 6 fois le gain illicite ! Autant dire que l’on en est loin et que les amendes, dans le meilleur des cas, viennent confisquer le profit illicite mais sans aller au-delà : la fonction dissuasive des sanctions est délaissée, au profit de sa seule fonction restitutive. Dans ces conditions, on ne sera pas étonné par les comportements de récidives de certaines entreprises, notamment au niveau communautaire. »
Lorsqu’il y a sanction, est-elle dissuasive ? La sanction pénale, c’est le reflet du dommage causé à l’économie. Compte tenu des éléments que je vous ai lus, la sanction pécuniaire devrait être de 6,6 fois le gain indu réalisé par l’opérateur qui s’est fait prendre. Or elle est au maximum de 5% de son chiffre d’affaires annuel, ce qui est bien plus faible. Nous appelons à relever le montant maximal des sanctions de façon à ce qu’elles soient réellement dissuasives.
Pour le consommateur, il ne peut demander réparation qu’à l’issue de la procédure menée par l’autorité, une fois tous les recours épuisés. A titre d’exemple (cartel des lessives) : un cartel qui a conduit pendant 6 ans (de 1997 à 2004) à une augmentation artificielle des prix des lessives, une décision rendue en 2011, une procédure définitivement jugée (il me semble) en 2014. Qui garde ses tickets de caisse sur une durée aussi longue ? L’absence ou le peu de preuves, le montant faible par consommateur, et surtout en Nouvelle-Calédonie l’absence de possibilité d’action de groupe au civil ne permettent pas aux consommateurs une réparation minimale du préjudice subi. Au final des victimes qui ne pourront faire valoir leurs droits à réparation.
Je signale que, par contre, en nous portant partie civile lors d’une procédure au pénal du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, nous avons obtenu un million de francs de dommages et intérêts en raison d’infractions ayant des conséquences dommageables sur les consommateurs calédoniens.
Donc quelques suggestions (et les élections approchent, c’est le moment de les faire) :
* Introduire l’action de groupe au civil (en l’adaptant au contexte calédonien) – l’action de groupe devant la juridiction administrative nous est possible dans certains domaines mais pas celui de la consommation, ce qui est pour le moins bancal
* Abonder, par une sur-amende, un fonds pour financer les actions de groupe
* Introduire la possibilité d’indemnisation de préjudices extrapatrimoniaux – comme le préjudice moral ; aujourd’hui, seul le préjudice patrimonial peut être réparé
* Prévoir que l’autorité doit réaliser une évaluation du préjudice subi par les victimes
* Ouvrir la possibilité de dommages et intérêts punitifs (à titre d’exemple, VW a préféré transiger aux USA avec les consommateurs plutôt que de risquer des dommages et intérêts punitifs, alors qu’en Europe les consommateurs ne voient toujours rien venir)
* Lors de transaction, ne pas oublier les victimes…
L’autorité de la concurrence en Nouvelle-Calédonie a un an. Elle fait sa place dans le paysage économique. Nous espérons que les opérateurs n’hésiteront pas à faire appel à elle en cas de « dysfonctionnement » du marché, et qu’elle sera, pour les consommateurs, un acteur connu et reconnu qui participe à leurs droits d’avoir accès à une variété de produits et de services, à des prix compétitifs, avec l’assurance d’une qualité satisfaisante.
1 Emmanuel Combe, « Consommateurs, les ententes vous spolient », Telos, 14 avril 2008