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D’où viennent nos maladies ?

Comprendre de quelle manière nos lointains ancêtres ont été sélectionnés pour survivre éclaire bien des aspects de nos maladies actuelles : pourquoi nous les attrapons et comment nous en prémunir.
Au commencement était la théorie de l’évo­lution. Exposée par le naturaliste Charles Darwin en 1859 dans L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, elle a bouleversé les savoirs. On peut la résumer ainsi : au sein de chaque espèce, la nature « sélectionne » les individus qui favorisent la survie de leur espèce. Ainsi les individus les plus adaptés à leur environnement seront plus aptes à se reproduire et transmettront leurs gènes et leurs aptitudes. L’être humain, Homo sapiens, est le résultat de cette évolution de plusieurs millions d’années, l’amenant à se différencier des autres espèces de primates. Son évolution, cérébrale en particulier, est telle qu’elle lui a permis d’occuper l’ensemble de la planète, d’y proliférer et d’arriver à un stade, il y a environ 12 000 ans, où, d’une espèce adaptée à la nature, il a prétendu adapter la nature à son espèce. On en est là.

Malgré cette grande évolution, nombre de maladies continuent d’affecter l’humain. Dès 1802, le théologien britannique William Paley s’interrogeait : pourquoi le corps humain n’est-il pas mieux conçu ? Au fil de l’avancée des connaissances sur la sélection naturelle, cette question a fait son chemin. En 1991, le psychiatre Randolph M. Nesse et le biologiste de l’évolution George C. Williams se demandaient : pourquoi tombons-nous malades malgré la sélection naturelle ? Certaines maladies favoriseraient-elles la sélection des individus les plus aptes à la reproduction ? Les apports de la biologie de l’évolution permettraient-ils de comprendre la cause des maladies et nous aideraient-ils à y faire face ? Des questions et des réponses développées en 1994 dans un ouvrage des mêmes auteurs et qui fait toujours référence : Why We Get Sick (Pourquoi tombons-nous malade ?). Les bases de la médecine évolutionniste ou darwinienne sont posées. Explorons quelques exemples pour découvrir cette science médicale encore très récente.

Infections et défenses
De nombreux micro-organismes, bactéries, virus, champignons et parasites s’intéressent fortement à nous pour survivre et se reproduire, dans cette fameuse struggle for life, ou lutte pour la survie, décrite par Darwin. Une lutte essentielle à la sélection naturelle, mais qui ne doit pas faire oublier l’entraide entre espèces, tout aussi essentielle.

Les virus ont besoin de nous
Contrairement aux bactéries qui peuvent se reproduire seules, les virus ne se multiplient qu’en utilisant une cellule comme hôte. Ils n’ont donc pas intérêt à tuer trop rapidement ceux qu’ils infectent : eux-mêmes ne survivraient pas ! Cela explique pourquoi certaines épidémies virales évoluent « en cloche » en atteignant un sommet, puis finissent par diminuer pour s’éteindre jusqu’à la prochaine, telles la bronchiolite, la varicelle, la grippe ou le Covid. Le virus du sida, lui, a adopté une autre stratégie : il tue tous ses porteurs, mais sa phase de latence qui peut durer plus de 10 ans lui permet de se diffuser lentement et sûrement…

Certains virus transmis par contact direct ou par l’air ont intérêt à ce que leur victime conserve une certaine mobilité, car cela favorise leur diffusion : c’est le cas de la varicelle ou des infections hivernales. Pour d’autres germes, comme la dengue ou le paludisme, leur intérêt est plutôt que le malade soit immobile pour que les moustiques qui les diffusent entre humains les piquent plus facilement. D’où la sévérité des symptômes à la phase aiguë de la maladie. De même, la sélection naturelle permet de comprendre la signification de certains symptômes des maladies infectieuses. La toux, l’écoulement nasal, les crachats, les éternuements sont bénéfiques à la fois pour l’élimination du germe par l’hôte, mais aussi pour sa diffusion vers d’autres hôtes.

Il arrive qu’une maladie confère un avantage contre une autre maladie : c’est le cas de la drépanocytose contre le paludisme. La drépanocytose est une maladie génétique apparue en Afrique et en Inde qui affecte les globules rouges et qui est très grave. Or, il s’avère que cette anomalie protège du paludisme, autre maladie mortelle. La drépanocytose tuant des années plus tard que le paludisme, elle aurait favorisé la reproduction des porteurs.

Bon à savoir  La résistance bactérienne aux antibiotiques résulte aussi d’un mécanisme de sélection des espèces. Quand elles sont en présence d’un antibiotique, les bactéries sensibles sont éliminées, les bactéries résistantes survivent et se multiplient. La bactérie E. coli met 20 minutes à se reproduire là où l’homme met 20 ans à faire de même. On comprend aisément que les résistances ne mettent pas longtemps à apparaître.

La fièvre, une alliée
Pour combattre les maladies, des mécanismes de défense ont été sélectionnés. La fièvre affaiblit ainsi la virulence du germe. Des études ont montré que les infections dont la fièvre est respectée guérissent plus vite. L’efficacité des antibiotiques nous a permis en quelque sorte de nous « passer » de la fièvre. Mais cela souligne pourquoi une fièvre bien supportée doit être respectée. Autrement dit, il n’est pas nécessaire de la faire baisser systématiquement, au contraire. Il en est de même avec l’inflammation, mécanisme de défense essentiel contre une agression extérieure. Voici encore un mécanisme à respecter : il faut, par exemple, éviter de soulager la douleur d’un abcès dentaire par les seuls anti-inflammatoires, car cela peut faire flamber l’infection bactérienne.

Globalement, pour permettre la survie de l’espèce humaine dans un environnement hostile, la nature a doté notre organisme d’un système immunitaire extrêmement performant et sollicité en permanence. On estime aujourd’hui que l’amélioration récente des conditions d’hygiène et du niveau de vie a été telle que le système immunitaire originel n’est plus suffisamment sollicité. Les deux conséquences actuelles sont le développement des allergies et celui des maladies auto-immunes où le système immunitaire agit contre son propre organisme. L’allergie est un phénomène récent, encore inconnu au début du XXe siècle, au point de ne figurer dans le Petit Larousse pour la première fois qu’en 1948. Aujourd’hui, les enfants élevés en contact avec la nature, dans les fermes, avec des animaux, souffrent moins d’allergies que ceux élevés en milieu urbain. Et certaines maladies auto-immunes sont devenues plus fréquentes, comme la maladie de Crohn qui touche les intestins. Des études ont été réalisées en faisant ingérer des parasites inoffensifs pour l’homme, des helminthes, pour traiter cette maladie. Les résultats ont été probants avec une diminution importante des poussées, mais provisoire car les parasites s’éliminent de l’organisme. Ainsi a été formulée l’hypothèse des « vieux amis ». Ces micro-­organismes inoffensifs auraient appris à notre système immunitaire à ne pas réagir avec excès. Avec leur disparition du fait de meilleures conditions d’hygiène, cet apprentissage de la tolérance se serait perdu.

Ménopause – L’art d’être grand-mère
La ménopause n’est pas le trait évolutif le mieux partagé parmi les mammifères. Seuls l’être humain et quelques espèces de cétacés à dents, narvals, bélugas, orques, la connaissent. D’un point de vue évolutionniste, son existence apparaît plutôt contre-intuitive. Comment le fait de cesser de se reproduire avant la fin de sa vie pourrait-il favo­riser la survie des individus d’une espèce et la transmission de leurs gènes ?

La force de l’expérience
Des femelles orques peuvent vivre jusqu’à 90 ans, et on a pu voir que leur expérience aidait le groupe où elles évoluent à trouver de la nourriture en cas de famine. Elles ne procréent plus, mais participent à la survie du groupe dans un phénomène dit de sélection de parentèle : en aidant à la survie de sa parenté, on favorise la transmission, même partielle, de ses propres gènes. Ce même mécanisme existe chez l’humain. C’est l’hypothèse dite de la grand-mère. La ménopause aurait été sélectionnée car les conditions de la naissance et de l’éducation du petit humain laissent une place adaptative essentielle à l’entourage, en particulier à la grand-mère.

La ménopause permet aussi d’éviter des concurrences intergénérationnelles délicates. Cela peut ainsi augmenter la survie de ses enfants et petits-enfants. Une hypothèse discutée, car on ne sait pas si beaucoup de femmes étaient en vie après 50 ans au paléolithique. Néanmoins, la survie humaine, dans sa complexité et sa particularité, nécessite plus d’aide de l’entourage que chez d’autres espèces. Et les individus peuvent apporter d’autant plus d’expérience qu’ils sont âgés et libérés de leurs « obligations » reproductives.
Alimentation et excès
L’espèce humaine a mis des millénaires pour s’adapter à un environnement nutritionnel de chasseurs-cueilleurs du paléolithique dans des déclinaisons aussi variées que ceux de l’Arctique ou des Tropiques. Mais l’évolution alimentaire artificielle et universelle due à la révolution industrielle capitaliste s’est déroulée très rapidement, en quelques décennies à peine, trop rapidement pour que l’homme s’y adapte. Pour les chasseurs-cueilleurs du paléolithique, les aliments sucrés étaient rares mais caloriques, donc bénéfiques. La sélection naturelle leur a permis de reconnaître leur goût et de développer leur appétence pour ces aliments. Mais, dans l’environnement nutritionnel actuel où le sucre est devenu omniprésent, les choses se dérèglent.

Pour les populations dont le régime originel est particulièrement éloigné de ces nouvelles pratiques (Inuits, Amérindiens, Polynésiens…), c’est la catastrophe : le diabète et l’obésité explosent. De même, il existait une adaptation génétique pour permettre à ces populations de résister aux périodes de disette en favorisant les réserves de gras pendant les périodes d’abondance. Quand cette abondance alimentaire devient permanente, ces populations souffrent de désordres métaboliques mortels à notre époque. Des traits avantageux sont ainsi devenus des handicaps.

L’exemple d’un monsieur âgé d’origine kabyle, soigné par insuline pour un diabète évolué, est significatif. Après plusieurs années passées en Europe, il avait souhaité retourner voir sa famille dans son village d’origine. Il était parti avec tous les traitements nécessaires à sa maladie. Au bout d’une semaine de séjour, il s’était retrouvé hospitalisé et en réanimation dans son pays natal pour un coma insulinique. Le régime alimentaire de son village avait soigné son diabète, et il n’avait plus besoin d’insuline. Quelques jours après son retour en Europe, il avait dû reprendre l’insuline. Lors des séjours suivants dans son village natal, il partait sans traitement.

Retour aux sources ?
Aujourd’hui en vogue, le régime « paléo » ne convient plus à l’Homo sapiens actuel. Depuis, nous avons évolué. La cuisson des aliments en a amélioré la digestibilité et nos intestins ne sont plus faits pour les aliments crus : ils devraient être deux fois plus longs ! Les humains ont eu aussi le temps de s’adapter à l’agriculture du néolithique, en rendant par exemple assimilables les céréales et le lait d’animaux dans la majorité des populations adultes où s’est développé l’élevage. Actuellement, le régime dit méditerranéen est le plus adapté.

Les mystères du cancer
À l’exception du rat-taupe nu d’Afrique de l’Est, aucune espèce animale n’échappe au cancer. Mais les humains en sont plus affectés que les autres. Environ un tiers d’entre nous en sera atteint au cours de la vie. À cela, deux explications principales dans laquelle l’hypothèse évolutive trouve sa place. La première est que nous vivons plus longtemps que les autres espèces et le cancer est une maladie de la sénescence : 9 cancers sur 10 apparaissent après 50 ans. Comme si, une fois achevé l’essentiel de notre période reproductive, la sélection naturelle se désintéressait de notre survie. Elle a en effet pour but de maximiser la reproduction des individus et la transmission des gènes, pas de nous faire vivre longtemps. La deuxième explication relève de l’exposition précoce à des substances cancérigènes environnementales desquelles la sélection naturelle n’a pas eu le temps de nous protéger, tels les toxiques inhalés ou ingérés (tabac, amiante, microparticules, hydrocarbures, perturbateurs endocriniens…). Exactement comme pour l’alimentation. Ceci expliquerait l’augmentation des cancers aux âges précoces, conséquence de la révolution industrielle.

Chaque jour, nous développons des cellules anormales, potentiellement cancéreuses, mais les défenses de notre organisme les éliminent. Jusqu’à ce que, affaiblies par l’âge ou dépassées par des agressions répétées, elles cèdent face à ces cellules anormales, se multipliant sans contrôle et s’organisant en tumeurs. Une hypothèse actuelle réside dans la résurgence des mécanismes de reproduction des premiers organismes unicellulaires à l’origine de la vie. Il y a 4 milliards d’années, ils se multipliaient par simple division cellulaire, comme les bactéries.

Il y a 1,5 milliard d’années, au Précambrien, ces cellules se sont associées pour devenir des êtres pluricellulaires. Elles se sont spécialisées en différentes sortes de cellules constitutives des organes et ont perdu cette capacité de se reproduire. Perdu ? Lors de cette évolution, les capacités de multiplication unicellulaire n’auraient pas été éliminées, mais se seraient simplement endormies tant que nous sommes reproducteurs. Ensuite, les mécanismes de défense vieillissent et se relâchent, ces cellules se mettent à proliférer et deviennent des tumeurs.

La tête et les jambes
L’évolution a fourni à Homo sapiens quelques caractères exceptionnels qui le différencient des autres primates. Parmi ceux-là, la bipédie permanente qui a libéré les mains, et l’encéphalisation, c’est-à-dire le développement majeur du cerveau et du nombre de ses neurones. La bipédie a procuré aux hominidés qui ne vivaient plus dans les arbres un avantage adaptatif remarquable en permettant la vigilance contre des agressions et, surtout, en favorisant la chasse. L’humain ne court pas très vite mais longtemps : c’est le prédateur chassant ses proies à l’épuisement. La bipédie permanente est donc le propre de l’homme et explique les incomparables bénéfices de la marche régulière, voire la seule station debout, pour sa santé : des avantages cardiovasculaires, musculosquelettiques, métaboliques et psychiques.

Mais toute médaille a son revers, et la bipédie a entraîné des modifications de la statique du bassin, de sa musculature et de sa forme, qui compliquent l’accouchement. Un accouchement rendu difficile également par l’encéphalisation : la tête du bébé est trop grosse pour passer dans le bassin modifié par la bipédie. Tout cela entraîne plusieurs conséquences qui s’avèrent fondamentales pour le développement humain. D’abord, l’accouchement humain est le plus douloureux parmi les mammifères (à l’exception de la hyène, mais pour d’autres raisons). Ensuite, il a généralement besoin d’être aidé – pas de « sage-guenon » parmi les primates ! Enfin, tous les bébés humains naissent en quelque sorte prématurés. S’ils devaient naître avec un développement équivalent aux autres hominidés, la grossesse serait de 21 mois. Impossible. Compte tenu de la taille de la tête, les accouchements devraient avoir lieu à 7 mois pour se dérouler aisément. La nature a coupé la poire en deux avec l’accouchement à 9 mois et des os du crâne non suturés, les fontanelles, pour permettre leur chevauchement à la naissance. De plus, un nouveau-né tout seul n’est capable de rien. Tout reste donc à faire pour l’amener à l’autonomie. Ce temps d’« élevage », présent dans d’autres espèces comme les oiseaux, s’appelle l’altricialité. Mais chez l’humain, compte tenu de la taille du cerveau et du milieu social et culturel dans lequel il va évoluer, il s’agit de passer de l’élevage à l’éducation : on parle alors d’altricialité secondaire, qui va prendre le temps que l’on sait ! Et c’est lors de ce temps d’éducation que d’autres acteurs doivent intervenir pour favoriser la survie de l’espèce et la transmission de ses gènes…

Troubles mentaux : de bonnes raisons au mal-être ?
Avoir peur ou se mettre en retrait sont des mécanismes qui ont pu être bénéfiques pour la préservation de l’espèce. Cet éclairage évolutionniste montre sous un jour nouveau les troubles psychiques comme la dépression ou l’anxiété.

De rares personnes souffrent d’un trouble génétique qui les rend insensibles à la douleur. Elles vivent habituellement moins longtemps que les autres, car elles se blessent ou s’exposent à des dangers mortels sans s’en rendre compte. Des études ont montré que, face à la douleur d’un tiers, elles ne ressentent pas d’émotion, comme une absence d’empathie. Cela illustre le fait que la souffrance et la douleur sont certes désagréables, mais qu’elles sont bénéfiques à la survie et à la transmission de nos gènes.

L’anxiété, un atout
Il en est de même pour la douleur psychique et la souffrance morale. Face à un danger, il est salutaire d’avoir peur et, face à un danger potentiel, de ressentir de l’anxiété. Pour les chasseurs-cueilleurs du paléolithique, il est même nécessaire d’être anxieux dans un environ­nement hostile. Même si cette anxiété est le plus souvent sans objet, le jour où le lion est en face de nous, elle devient très avantageuse. Randolph Nesse, psychiatre pionnier de la médecine darwinienne, parle d’effet « détecteur de fumée » : il vaut mieux qu’il se déclenche pour presque rien que trop tard. Ainsi, nombre de troubles anxieux et phobiques trouveraient leur origine dans ce mécanisme. L’environnement est devenu sans doute moins dangereux, mais ces mécanismes persistent et prennent parfois des proportions inadaptées face à la réalité, pour des raisons génétiques ou à cause de traumatismes psychiques précédents.

Bénéfiques à la survie
En moyenne, les femmes ont deux fois plus de risques que les hommes de souffrir d’un trouble anxieux. D’un point de vue évolutionniste, où les femmes n’ont que peu d’ovules à distribuer, leur niveau d’anxiété serait en réalité bien adapté à la transmission de leurs gènes, tandis que les hommes, dont la survie dépend de la diffusion la plus large possible de leurs milliards de spermatozoïdes, seraient plus aptes à prendre davantage de risques. La dépression, cette souffrance morale, serait le signe qu’il convient de s’arrêter de s’épuiser face à des objectifs inatteignables. L’état de prostration qu’elle entraîne peut être perçu comme un besoin d’aide par son groupe. C’est alors que la capacité à ressentir soi-même la souffrance peut déclencher, par empathie, des comportements d’entraide, bénéfiques à la survie de l’individu et du groupe. Ces « explications » aux douleurs mentales ne doivent pas constituer une raison de ne pas les traiter. Comme les douleurs physiques, elles sont bénéfiques à la survie, mais méritent d’être combattues si besoin.

 

cf quechoisir.com

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