Les épines d’« Octobre rose » !
A la veille du lancement d’« Octobre rose », vaste campagne de communication autour du dépistage organisé du cancer du sein, l’UFC-Que Choisir tire la sonnette d’alarme et interpelle les pouvoirs publics pour garantir le droit des femmes de choisir librement et de manière éclairée de se faire ou non dépister.
L’importante controverse scientifique autour de la balance bénéfices/risques (bienfaits surévalués et inconvénients sous-estimés) du dépistage a abouti à un changement de la communication dans de nombreux pays (Danemark, Suède, Canada, etc.), le Royaume Uni lançant même un réexamen des données scientifiques pouvant aboutir à la remise en cause du dépistage organisé. Avec « Octobre rose », la France, elle, continue le matraquage, pour ne pas dire la propagande, autour des seuls bienfaits du dépistage… Trois épines égratignent ainsi le choix éclairé des françaises : une information partielle et obsolète, des injonctions pressantes et culpabilisantes et des médecins intéressés financièrement.
Cachez ces sur-traitements que je ne saurais voir !
L’information délivrée aux femmes françaises est à sens unique : celle-ci ne mentionne quasiment systématiquement que les avantages du dépistage, souvent en le surévaluant à partir des données scientifiques initiales (« 30 % de vies sauvées ») aujourd’hui contestées. Au mieux, la communication minore les risques mais reste souvent muette sur ceux-ci alors même que le dépistage organisé détecte trop souvent des tumeurs qui n’auraient jamais évolué et conduit dans certains cas à de lourds traitements inutiles (radiothérapie, chimiothérapie, ablation, etc.).
L’injonction plutôt que l’information
Le message public tient plus à l’injonction qu’à l’information (« faites », « parlez-en », etc.) et cherche également l’implication émotionnelle des personnes visées, parfois même sous l’angle de la culpabilisation : « parlez-en aux femmes que vous aimez ». Si ce mode de communication peut se justifier dans la promotion d’enjeux de santé publique incontestables (comme la lutte contre le tabagisme), ils doivent être proscrits en l’absence de consensus scientifique. De plus, alors que le dépistage doit reposer sur le libre choix, ce type d’injonction aboutit à faire croire aux femmes qu’il est obligatoire !
Médecins : la prime au dépistage
La bonne information des femmes souffre enfin du mode de rémunération de leurs médecins traitants qui les incitent à prescrire des mammographies. En effet, parmi les indicateurs de performance définis par les pouvoirs publics pour l’attribution de primes aux médecins, figure le pourcentage des patientes qui effectuent une mammographie tous les deux ans. Dès lors, on peut craindre que l’information que les femmes viennent chercher auprès de leur médecin(1) soit biaisée, puisque celui-ci est financièrement intéressé : 245 euros si 80 % de ses patientes âgées de 50 à 74 ans participent au dépistage.
Sans prendre parti pour ou contre le dépistage, sujet scientifique, l’UFC-Que Choisir, partisane d’une information pertinente pour des choix éclairés, demande au gouvernement, à l’instar des exemples étrangers:
De diligenter le réexamen des données scientifiques sur le dépistage du cancer du sein par un collège d’experts indépendants ;
Dans l’attente de la publication des conclusions du collège d’experts et tout en maintenant la gratuité du dépistage, la campagne d’information actuelle doit être objectivée, pour permettre à chaque femme d’évaluer les avantages du dépistage, mais aussi les risques de sur-traitement qui pourraient en découler ;
D’exclure l’indicateur « Dépistage du cancer du sein » dans la rémunération à la performance des médecins.
Voir le site d’UFC: article
(1) Pour 56,40 % des femmes, le premier réflexe, à la réception du courrier d’invitation au dépistage, est d’en parler à leur médecin. C’est en particulier le cas pour 70,40 % des femmes participantes selon un sondage de l’InVS de 2005.
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LETTRE OUVERTE AU MINISTRE DE LA SANTE:
Madame Marisol TOURAINE Ministre des Affaires sociales et de la Santé 14 avenue Duquesne 75700 PARIS
Paris, le 14 octobre 2016
Contacts : Collectif Cancer Rose : Dr Cécile Bour (mauryturis@live.fr) ; Prescrire : Pierre Chirac (Pierrechirac@aol.com) ; Groupe PRINCEPS : Jean-Claude Salomon (jcsalomon@tribunes.com) ; UFC – Que Choisir : Mathieu Escot (mescot@quechoisir.org)
Objet : Dépistage organisé du cancer du sein
Madame la Ministre,
A votre demande, l’Institut national du cancer vient de rendre public, après une concertation du grand public et des parties prenantes, le rapport de la Concertation citoyenne et scientifique sur l’actuelle politique de dépistage organisé du cancer du sein. Celui-ci rejoint, en les actualisant, les constats dressés par de nombreux acteurs indépendants.
Ce rapport fait notamment le constat que le dépistage des cancers du sein fait l’objet d’une controverse scientifique et non d’un consensus, que ce soit sur la réalité ou l’importance des bénéfices attendus ou sur l’importance de ses effets indésirables, liés aux sur-diagnostics et sur-traitements, initialement sous-estimés. Il souligne la nécessité de poursuivre les recherches scientifiques pour essayer de lever les incertitudes actuelles. Le document insiste également sur le déséquilibre de la communication à destination des femmes en âge de participer au programme, qui relève davantage de l’injonction que de l’information, spécialement la campagne « Octobre Rose » et ses déclinaisons.
Le rapport émet de nombreuses autres propositions, et notamment : une évaluation du dispositif qui se penche sur la question du surdiagnostic et du surtraitement ; l’arrêt des dépistages chez les femmes âgées de moins de 50 ans sans facteur de risque ; l’arrêt ou la transformation profonde du dépistage organisé chez les femmes âgées de 50 ans ou plus. L’idée est d’établir des grilles de risque permettant de personnaliser la décision de dépister ou de ne pas dépister, et de faire passer l’information par les médecins généralistes.
Ce rapport appelle naturellement des actions fortes, et c’est pourquoi nous accueillons favorablement l’annonce par votre Ministère, d’ici la fin de l’année, d’un plan de rénovation du dépistage organisé du cancer du sein. Dans ce cadre, nous souhaiterions attirer votre attention sur deux points qui doivent constituer, à notre avis, le fondement de cette politique : le droit des femmes à un choix libre et éclairé de s’inscrire ou non dans les démarches de dépistage organisé ; la prise en compte de l’absence de consensus scientifique à propos du dépistage et des critiques de la Concertation citoyenne et scientifique sur son organisation. Ce droit et cette prise en compte n’auront de réalité qu’à deux conditions.
D’une part, l’information disponible, tant pour les femmes que pour les professionnels de santé, doit être rendue plus objective, en présentant aussi bien les avantages que les inconvénients du dépistage, à partir des données de la science, recensées par exemple dans le rapport de la Concertation citoyenne et scientifique.
D’autre part, les médecins doivent être mis en situation de délivrer une information non biaisée à leurs patientes. Cela suppose une formation adéquate des professionnels de santé concernés, afin qu’ils soient en mesure d’expliquer la controverse, les effets indésirables et les inconnues du dépistage. Par ailleurs, il est indispensable que soit retiré des critères de la rémunération sur objectifs de santé publique des médecins généralistes le niveau de participation de leur patientèle au dépistage du cancer du sein. C’est seulement ainsi que les femmes pourront en toute confiance se tourner vers leur médecin pour discuter de leur choix, comme elles sont déjà 56 % à le faire.
Nous vous remercions par avance de l’attention que vous voudrez bien porter à nos propositions, et vous prions de croire, Madame la Ministre, à l’assurance de notre plus haute considération.
Paul AYMON Alain BAZOT Porte-parole du groupe PRINCEPS Président de l’UFC-Que Choisir
Dr Cécile BOUR Bruno TOUSSAINT Membre fondatrice du Collectif Cancer Rose Directeur éditorial de Prescrire