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Médicaments Quand la pénurie menace

Les ruptures de stock de médicaments sont de plus en plus nombreuses. En cause, les quotas ­imposés aux grossistes par les industriels, mais aussi des problèmes de fabrication grandissants.

En ce début novembre, voilà plus de trois semaines que François Bardoul, pharmacien en périphérie de Toulouse, est dans l’incapacité de délivrer à ses clients du Bi-Profenid LP 100, un anti-inflammatoire des laboratoires Sanofi.« Il est en rupture de stock, impossible d’en avoir auprès de notre grossiste-répartiteur », précise-t-il. Après s’être un temps dépanné auprès de ses confrères, quitte à prendre le volant pour aller récupérer les boîtes, il est aujourd’hui contraint de revoir les ordonnances au téléphone. « Le Bi-Profenid LP 100 est une forme particulière de kétoprofène, en tant que pharmacien, je ne peux pas substituer, le médecin doit nécessairement prescrire autre chose », ajoute-t-il. Au final, si les patients s’inquiètent parfois de ne pas obtenir le médicament initialement prescrit, « ils ne courent aucun risque de voir leur traitement stoppé. Jusqu’ici, on s’est toujours arrangé pour trouver un équivalent ».

Des ruptures plus fréquentes

Le cas de François Bardoul n’est pas isolé. Depuis 2010, beaucoup de pharmaciens constatent, chaque jour au moment de passer commande, que toujours plus de références manquent à l’appel et ne pourront pas leur être fournies par leur grossiste-répartiteur. Trouver des solutions de remplacement pour leurs patients est souvent possible, mais cela leur prend de plus en plus de temps. Si bien qu’ils ont fini par se plaindre auprès de leurs syndicats ou du conseil de l’Ordre des pharmaciens de ruptures de stock qui deviennent vraiment gênantes. Pour en avoir le cœur net, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) a mis en place un observatoire. Difficile d’en généraliser les données, recueillies uniquement auprès des adhérents du syndicat. « Mais les alertes que nous avons reçues montrent que tous les types de produits sont désormais touchés, aussi bien des antihypertenseurs que des antidiabétiques, des pilules contraceptives ou des antirétroviraux », note Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Prescrites pour des traitements au long cours, ces classes de médicaments s’accommodent mal d’interruptions. Or, quand arrive la fin du mois ou à certaines périodes de l’année, la situation peut se révéler problématique.« Avant l’été, nombreux sont ceux qui veulent partir en vacances avec un mois ou deux de traitement. Les pharmacies ont peu, voire pas de stocks, elles se retrouvent rapidement à court et ne peuvent plus satisfaire les demandes », déplore Hélène Pollard, représentante de SolEnSi au sein du TRT5, collectif d’associations de malades du sida. Or, pour un malade du sida, par exemple, quelques jours sans traitement font courir un risque, tant la continuité est importante.

Les tensions entre laboratoires et grossistes-répartiteurs, qui fournissent chaque jour les pharma­ciens, ont leur part dans l’actuelle aggravation des difficultés d’approvisionnement des officines. Au cœur de la discorde : la possibilité pour les grossistes de faire du commerce parallèle, c’est-à-dire d’écouler une partie des médicaments initialement destinés au marché français dans des pays européens où les prix sont plus élevés. C’est légal si, en même temps, ces intermédiaires respectent leur mission de service public, soit avoir devant eux quinze jours de stock de 90 % des médicaments qu’ils vendent, afin de garantir l’approvisionnement du marché domestique.« Tous les grossistes-répartiteurs ont une cellule d’export, précise Olivier Marco, directeur commer­cial et marketing chez Phoenix Pharma France.Une fois que nous avons servi le marché national, nous vendons à l’étranger des molécules sur lesquelles, en France, les marges sont proches de zéro. » Les laboratoires estiment que certains grossistes ont la main lourde sur les exportations. Afin de limiter cette pratique et de rester maîtres des bénéfices réalisés sur les médicaments, ils ont donc mis sous quotas plusieurs centaines de produits. Concrètement, ils rationnent la quantité mensuelle de boîtes attribuées à chaque grossiste, en fonction de ses parts de marché. Le quota atteint, le laboratoire ne livre plus le grossiste. Qui ne livre plus l’officine. Le pharmacien n’a plus qu’à prendre son téléphone pour commander directement au laboratoire.

Si le délai pour obtenir en officine des médicaments aussi sensibles et difficilement remplaçables que des antirétroviraux est trop long, les pharmacies hospitalières constituent alors pour les patients une porte de secours appréciable. Elles ont des stocks relativement confortables et, en général, « elles dépannent de bonne grâce », précise Hélène Pollard. Comme elles se fournissent auprès des industriels sans passer par la case grossistes-répartiteurs, elles ne subissent pas la loi des quotas imposée par les laboratoires. Les variations d’approvisionnement qui empoisonnent le quotidien des pharmacies de ville ne les affectent pas.

Production en flux tendu

Pour autant, les hôpitaux ne sont pas totalement à l’abri. Car s’ils ne font pas les frais des ratés du circuit de distribution, les multiples couacs de fabrication, qui surviennent régulièrement et se traduisent également par des ruptures de stock, ne les épargnent pas plus que les officines. Défauts de qualité révélés lors d’une inspection sanitaire, catastrophe naturelle comme au Japon l’an dernier, chutes de neige qui retardent les livraisons, grève de transport, pénurie brutale de matière première, sous-traitant défaillant, fermeture du laboratoire pour réorganisation informatique : les motifs de perturbation, voire d’arrêt de la production, en amont du système de répartition, ne manquent pas. Et chaque événement a d’autant plus d’impact qu’aujourd’hui, « sous la contrainte économique, chaque maillon de la chaîne raisonne en flux tendu », remarque Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre des pharmaciens. La concentration de la production d’un médicament sur un ou deux sites dans le monde n’arrange rien : qu’une usine soit bloquée, et plusieurs pays ne sont plus approvisionnés. Ainsi, en septembre dernier, Sanofi a dû suspendre la commercialisation de stylos à insuline, suite à un« incident technique sur son site de production ». Résultat, une rupture de stock mondiale de plus de trois mois. Les patients ont été contraints de changer de dispositifs d’injection ou de passer à d’autres produits. En Irlande, la contamination des cuves de l’usine Baxter a conduit, en 2010, à l’arrêt de fabrication de solutions de dialyse péritonéale. Les autorités ont eu à gérer la pénurie : les poches restantes ont été rationnées et, pour faire face à la demande, des lots ont été importés des États-Unis et de Turquie. Leur mode d’emploi étant différent de ceux utilisés en France, ils étaient accompagnés d’une notice explicative, afin que les soignants ne se trompent pas en les administrant. En cancérologie, des produits manquent aussi régulièrement à l’appel. Témoins les messages d’alerte réguliers de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) à l’attention des hôpitaux et cancérologues. « Au quotidien, les ruptures sont un véritable casse-tête,témoigne Pascale Avot, pharmacienne à l’hôpital de Creil et secrétaire générale adjointe du Syndicat national des pharmaciens des établissements publics (Synprefh). Dans mon centre hospitalier, nous n’avons jamais eu à reporter de traitement, mais il faut sans cesse utiliser des produits de remplacement. Leur concentration n’étant pas la même, nous devons veiller à ne pas commettre d’erreur au moment de les préparer. »

En ville comme à l’hôpital, médecins et pharmaciens composent avec la situation, s’évertuant à trouver des solutions de repli. « Il n’y a jamais eu de situation complètement critique », assure Philippe Arnaud, pharmacien à l’hôpital parisien Bichat-Claude Bernard et représentant du Syndicat des pharmaciens hospitaliers (SNPHPU). Parfois, c’est aux patients de se débrouiller : « L’an dernier, mon médecin à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière m’avait prescrit du Thyrogen en vue d’un contrôle, quelques mois après une opération de la thyroïde », raconte Élisa Lenain (1). Sachant le médicament introuvable en pharmacie, il conseille tout de go à sa patiente de faire le tour des pharmacies hospitalières. « Je l’ai finalement obtenu dans un établissement de la région parisienne par piston, grâce à la belle-mère d’un copain qui est médecin. Sans ce coup de pouce, je ne l’aurais pas eu »,assure-t-elle. Beate Bartès, administratrice du forum Internet « Vivre sans thyroïde », confirme : « Ce produit est souvent en rupture totale. Pour ceux qui sont traités pour un cancer de la thyroïde et qui ne peuvent pas attendre que le médicament revienne sur le marché, les médecins le remplacent par une période de défrénation, c’est-à-dire un arrêt du traitement par hormones qui est long et pénible. Ceux qui ont besoin de Thyrogen pour un contrôle voient leur examen retardé de plusieurs mois. Ce délai n’a pas d’incidence sur leur état de santé. Mais, psychologiquement, c’est éprouvant, car le moment où ils apprennent s’ils sont ou non guéris est retardé d’autant. » Et quand le Thyrogen revient sur le marché, plusieurs mois s’écoulent avant le retour à la normale. Le réapprovisionnement d’un médicament prend du temps, d’autant que « les laboratoires privilégient les pays où les marges sont plus favorables », note Olivier Marco, de Phœnix Pharma.

Les pouvoirs publics réagissent

Après plusieurs alertes, venues d’abord des associations de patients, puis des organisations de pharmaciens, le ministère de la Santé s’est enfin décidé à s’attaquer aux ruptures de stock de médicaments. En septembre dernier, il a réuni toutes les parties concernées. Un décret devrait paraître, courant 2012, afin de « sécuriser la chaîne de distribution et renforcer les obligations de service public, détaille Marc Stolz, directeur de l’inspection et des établissements à l’Afssaps. Nous devons veiller à ce que les fabricants se prémunissent contre les problèmes de fabrication. Nous aimerions aussi que les pharmaciens puissent nous alerter en direct, afin que les autorités opèrent des contrôles sur le circuit d’exportation à partir de signalements précis. » Une liste des médicaments dits « sensibles », dont le fabricant devrait disposer en permanence un stock minimum, devrait voir le jour.

Arrêts de commercialisation
De nouvelles règles

Moins fréquents que les incidents de fabrication, les arrêts de commercialisation sont également à l’origine de ruptures de stock. Ils concernent des médicaments ­anciens, plus assez ­rentables aux yeux des laboratoires. Mais ils ont souvent encore leur place dans la pratique médicale, notamment parce que leurs effets secondaires sont bien connus. Cet été, c’est la disparition annoncée du thiopental (Penthotal), utilisé en anesthésie-réanimation, qui a mis le feu aux poudres et poussé les autorités à prendre en compte le concert de plaintes concernant les ruptures de stock. Grâce au remue-ménage provoqué par le syndicat des anesthésistes-réanimateurs, les règles d’arrêt de commercialisation ­devraient changer ­bientôt. Le laboratoire aurait l’obligation de prévenir non plus six mois avant l’arrêt de commercialisation, mais un an avant. Et l’Agence française de sécurité ­sanitaire des produits de santé (Afssaps) aurait la possibilité de bloquer la décision dans le cas où il n’existerait pas d’alternative au médicament.

 Concurrence
Lorsque les labos lèvent le pied

Quand le brevet d’un médicament tombe dans le domaine public, le ­fabricant du « princeps », le médicament de marque, jusque-là en situation de monopole, s’attend à voir arriver ­rapidement sur le marché les versions génériques, vendues moins chères. La perspective d’une telle concurrence peut inciter le laboratoire à « lever le pied » sur la production de son ­médicament. « Mais si le générique tarde à faire son apparition, alors il peut y avoir une période de flottement et d’indisponibilité de la molécule sur le marché », détaille Emmanuel Déchin, secrétaire général de la chambre ­syndicale de la répartition pharmaceutique. D’où, quelquefois, une ­période de rupture entre le moment où le médicament est moins présent dans les officines et celui où ses concurrents inondent le marché.

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