L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) confirme que les nitrites et nitrates ajoutés dans les charcuteries favorisent l’apparition du cancer colorectal. Elle recommande d’en réduire l’usage, mais pas de les interdire. Au consommateur, donc, de modérer sa consommation.
Il existe bien une « association entre le risque de cancer colorectal et l’exposition aux nitrites et/ou aux nitrates », via la consommation de charcuteries, confirme l’Anses dans un rapport publié le 12 juillet. Les sels nitrités (sels enrichis en nitrites ou nitrates) sont des additifs (1) couramment utilisés pour la fabrication des charcuteries. Ce document, très attendu, met donc fin aux controverses sur le lien entre la consommation de charcuteries et la survenue du cancer colorectal (notre enquête Charcuterie – Comment se passer des nitrites). Sans grande surprise, car de nombreux travaux scientifiques, dont ceux du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence onusienne, convergeaient déjà dans ce sens. Ce qui n’empêchait pas les industriels de la charcuterie de nier ce lien jusqu’à récemment, avant de le reconnaître du bout des lèvres lors d’une audition parlementaire (2), en janvier 2021.
Il faut réduire l’exposition aux sels nitrités
Il est donc urgent de réduire l’exposition de la population aux sels nitrités, car « plus l’exposition à ces composés est élevée, plus le risque de cancer colorectal l’est également dans la population », rappelle l’Anses. D’autant que les Français sont de grands amateurs de charcuterie, et que la moitié en mange trop, dépassant les préconisations du Programme national nutrition santé (PNNS) de limiter sa consommation à 150 grammes par semaine. L’Agence préconise donc « d’aller vers une réduction des additifs dans les recettes des produits de charcuterie [encadrées en France par le Code des usages de la charcuterie, NDLR] et une réduction de la consommation individuelle ».
Une diminution, mais pas d’interdiction
Néanmoins, les recommandations de l’Anses ne bouleverseront pas les pratiques des professionnels de la filière porcine. Elle estime en effet que « l’ajout intentionnel des nitrites et des nitrates dans l’alimentation doit se faire dans une approche aussi basse que raisonnablement possible ». En clair, pas d’interdiction, mais une « réduction » pour « certaines catégories de produits », sous réserve de mise en œuvre de bonnes pratiques de la part des fabricants, des abatteurs et des éleveurs.
L’Agence opte donc pour la prudence. En effet, l’ajout d’additifs nitrés dans les charcuteries vise entre autres à limiter le développement de bactéries – principalement les salmonelles, la listeria et Clostridium botulinum (à l’origine du redoutable botulisme). « Plus la réduction de l’emploi des nitrites est importante, plus le risque microbiologique pour les consommateurs augmente », avertissent les experts. Les supprimer impose donc de maîtriser parfaitement ces risques sanitaires. Certains industriels et artisans le font déjà, en travaillant des viandes fraîches de qualité supérieure, propres et provenant d’élevages ayant eux aussi une bonne maîtrise sanitaire. Ainsi, la gamme de jambons cuits sans nitrites s’est étoffée ces dernières années, sans déclencher de toxi-infections. Mais tous les fabricants n’en sont pas capables actuellement.
Adapter les baisses en fonction des produits
L’Agence recommande d’adapter une éventuelle baisse des quantités maximales autorisées à chaque catégorie de produits : « Pour le jambon cuit, la réduction des nitrites pourrait s’accompagner du raccourcissement de la date limite de consommation. Pour le jambon sec, cela supposerait un contrôle strict du taux de sel et de la température au cours des étapes de salage, de repos et d’affinage. » Pour le saucisson sec, le risque principal est lié à la contamination par des salmonelles dans les élevages de porcs et les abattoirs ; il est donc nécessaire d’établir un plan de lutte à ce niveau.
Attention, aussi, aux fausses solutions. Ainsi, les extraits végétaux et bouillons de légumes ne sont pas « une réelle alternative » aux additifs nitrés, car ils contiennent naturellement des nitrates qui sont convertis en nitrites lors de la fabrication ou de la digestion. « Ces produits dits “sans nitrites ajoutés” ou “zéro nitrite” contiennent donc des nitrates et des nitrites cachés », affirme l’Anses. Il n’est plus admissible que des industriels utilisent encore ces procédés et ces affichages trompeurs en toute connaissance de cause.
Au consommateur de moins manger…
À défaut d’être en capacité d’imposer des normes strictes, les pouvoirs publics sont souvent tentés de faire peser la responsabilité sur les consommateurs… Le rapport de l’Anses n’y déroge pas. Il appelle chacun à respecter les préconisations du PNNS, en limitant la consommation individuelle à 150 grammes de charcuterie par semaine, et en consommant quotidiennement au moins 5 fruits et légumes, aux propriétés antioxydantes.
Revoir les seuils réglementaires
Enfin, l’Agence suggère de revoir les limites réglementaires. Elle estime que les doses journalières admissibles (DJA, doses maximales à ingérer par jour) actuelles, fixées par l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa) pour chaque composé, s’avèrent « valables », mais « insuffisantes », une façon politiquement correcte de dire que si les valeurs des DJA protègent relativement bien la population, il serait néanmoins judicieux de les améliorer… L’Anses propose donc d’élaborer une DJA globale, qui tiendrait compte simultanément des nitrates et des nitrites, mais aussi des composés nitrosés. Ces derniers sont les produits issus de la dégradation des nitrates et nitrites dans les viandes ou dans notre organisme lors de la digestion. Or, ce sont eux les plus « préoccupants » en termes de cancérogénicité, ont souligné Matthieu Schuler, directeur général délégué de l’Anses, et Laurent Guillier, chef de projet spécialiste de l’évaluation des risques alimentaires à l’Anses, lors d’une conférence de presse à la suite de la publication du rapport.
Bref, il s’agit d’un rapport en demi-teinte, qui confirme le lien entre sels nitrités et cancer, et pousse les industriels à faire mieux, mais sans interdire. Les progrès seront donc fixés lors de la révision du Code des usages de la charcuterie, qui déterminera jusqu’où les fabricants accepteront de réduire les additifs nitrés, ainsi que lors d’une l’éventuelle révision des normes européennes par l’Efsa, jusqu’alors peu encline à davantage de restrictions…
Dans la foulée de cette publication, le gouvernement a annoncé un « plan d’actions visant à réduire l’ajout des additifs nitrés dans les produits alimentaires », qui devrait être présenté au Parlement dès cet automne.
Eau de boisson, l’autre source d’exposition aux nitrates
Dans son rapport, l’Anses évoque brièvement une deuxième voie d’exposition problématique aux nitrites et nitrates : l’eau de boisson. Elle appelle les distributeurs d’eau à ne pas dépasser le seuil maximal fixé à 50 mg/l. Si vous voulez connaître la qualité de l’eau du robinet dans votre commune, vous pouvez vous référer à la carte interactive établie par l’UFC-Que Choisir.
L’activité agricole est la principale source de pollution de l’eau par les nitrates. L’Anses recommande donc d’améliorer les pratiques agricoles comme l’épandage de fertilisants et d’effluents d’élevage, « en les ajustant au mieux aux besoins des cultures ». Elle remettra « prochainement » un avis sur ce sujet.
(1) Ils sont identifiables par leur nom ou leur abréviation européenne : le nitrite de potassium (E249), le nitrite de sodium (E250), le nitrate de sodium (E251) et le nitrate de potassium ou salpêtre (E252), tous classés « à éviter » dans l’évaluation des additifs de Que Choisir.
(2) Audition de Bernard Vallat, président de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs, dans le cadre du rapport d’information sur les sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire mené par les députés Richard Ramos, Barbara Bessot-Ballot et Michèle Crouzet.
cf : quechoisir.org